La médecine arabe en Algérie

C'était le sujet de thèse du Dr Mohamed Benlarbey qui commence par un hadith du prophète Mohamed ; " Demandez à Dieu le pardon et la santé, nul certainement n'a jamais rien reçu de plus précieux que la santé : elle est le bienfait que Dieu aime par-dessus tout qu'on lui demande ". (2)

Dans son introduction, il interpelle la France " ...Est-il juste de refuser à ces populations, toutes les connaissances utiles, de nier jusqu'à leur aptitude à faire acte de virilité intellectuelle en un mot de les traiter comme une race littéralement inférieure ? Il est permis d'être d'un avis contraire.

En ce qui concerne la profession de mon choix, j'ai cru devoir démontrer, par quelques exemples empruntés aux procédés medico-pharmaceutique des Arabes algériens, que si notre pratique n'a pas toujours été inspirée par un niveau scientifique suffisant, elle est cependant susceptible d'offrir encore ii encore à l'art médical français quelques ressources utiles". (2)

Dans le chapitre premier, il fait l'historique de la médecine arabe occidentale et le panégyrique des médecins célèbres du Machreq et surtout du Maghreb, dont les ouvrages furent traduits en français et pour ne citer que les plus récents, ceux d'Abderrazak el jazairi (18ème siècle) ; "Révélations des énigmes et expositions des drogues et des plantes" qui est un traité de matière médicale et un livre sur "l'hygiène des fonctions génitales",

Le chapitre deux est consacré à "la médecine arabe actuelle ", où il décrit "les affections et les pratiques médicales et climatériques" ; "la gale bédouine (habb lareug), traités par les bains de vapeur, par les frictions de jus de grenade ou de henné ou de juc de tomate; le bouton de Biskra, dermatose combattue par l'écume de savon vert appliquée comme topique et par la fréquentation des eaux thermales ; le dragonneau, que les Arabes appellent "areug-el-medine" c'est-à-dire la veine de médine, cette filaria médimensis qui attaque principalement les jambes; l'éléphantiasis ou "dâ-el-fil" (2).

En chirurgie, le toubib algérien est essentiellement conservateur "les Arabes répugnent aux grandes opérations sanglantes; ils préfèrent une mort certaine et prochaine à quelques années d'existence achetées au prix de la mutilation du corps" (2) Le Dr Benlarbey tàit une description détaillée de la cautérisation, des scarifications, de la circoncision et du traitement des fractures à l'aide d'une Djebira (plâtre) faite de blanc d'œufs battus dans du henné et d'attelles de bois de palme ou de roseau.

Dans le chapitre consacré à l'hygiène, il donne sept recettes de composition du Koheul, neuf recettes du henné, décrit les bienfaits du hammam et détend la pratique de la variolisation (technique de vaccination contre la variole) qui existait depuis la plus haute antiquité dans le Maghreb. IlI s'élève fermement contre les affirmations selon lesquelles les Algériens "présenteraient de nombreuses manifestations de syphilis. La fréquence de la syphilis, les statistiques de tous les pays les plus civilisés, leurs cliniques spéciales, leurs musées d'anotomie pathologique, révèlent suffisamment que la maladie contagieuse, qui tout à tour mérite les noms de "mal français, napolitain, espagnol, allemand, polonais, turc, etc. etc. " n'est pas précisément le privilège des indigènes du nord de l'Afrique". (2).

Abordant la médecine par les plantes, il constate: "ces remèdes sont encore dignes de l'attention des praticiens, parce que l'Algérie même les produit et que leur exploitation intéresse autant l'industrie locale que le traitement des maladies africaines" (2).

Cette constation est toujours d'actualité, la production des plantes médicinales est encouragée depuis quelques années pour satisfaire les besoins locaux et, pourquoi pas, exporter. Le problème est tellement pris au sérieux que la Chambre nationale de commerce a programmé un séminaire sur les plantes médicinales d'Algérie au cours de ce mois de septembre.

Et le Dr Benlarbey de citer quelques plantes et leurs indications: le caroube (kharoub), le grenadier (roumane), le jujube (annab), le thapsia garganica (bou nafaâ), le figuier de barbarie (kermous n'sara) et le palmier dattier qui, à lui seul, totalise douze recettes de traitements allant de la piqûre de guêpe au syndrome hémorragique, en passant par la diarrhée et le traitement de l'impuissance.

La thèse se termine par un chapitre de médecine légale, consacré à ta durée physiologique de la grossesse et au problème du "Ragued" (l'enfant endormi..) : "une des questions qui ont le plus souvent donné lieu à des controverses en médecine légale, au point de vue des doctrines de la jurisprudence musulmane, c'est la gestation prolongée pendant plusieurs années. La femme, dont le mari est absent, ne peut se marier, dans certaines régions du littoral, avant le délai de quatre années révolues depuis le départ du mari. Ce délai est de sept ans chez quelques tribus et même de dix ans chez les Ait lraten et les Igaouaouen. On comprend maintenant toute la gravité que comporte la question des gestations très prolongées. Ce sujet, auquel se rattachent tant de problèmes médico-judiciaires relatifs à l'honneur des familles, à la paternité, à la légitimité de la naissance, à des droits d'héritage, etc., a, de tout temps, exercé la sagacité des légistes et des accoucheurs" (2).

Le Dr Bènlarbey rapporte que " de cadi d'Alger reconnaissant pour père d'un enfant, un indigène qui avait déjà répudié la mère depuis plus de deux ans, la cour d'appel de cette ville infirma ce jugement, car le code civil fixe au trois centième jour' l'extrême limite des grossesses tardives ". (2)

La croyance populaire du "ragued" arrange bien des situations délicates. Défiant le temps et la science, on la retrouve encore de nos jours partout dans le pays, particulièrement dans l'esprit de nos mères et grands-mères...

En 1888, le Dr Benlarbey " lutta avec acharnement pour faire échec au plan du Gouvernement général d'Algérie, qui visait à détruire les mosquées de Djamâa El Kébir et Djamâa Djedid, pour construire à leur place des hôtels. Lorsqu'en 1891, l'Etat français a tenté de remplacer les mahkamate par des tribunaux présidés par des non musulmans, notre docteur s'est trouvé à l'avant-garde d'une révolte des Algériens, à tel point que le parlement français a dégagé une commission d'enquête 'Présidée par Jules Ferry".(1)

Durant sa vie, le Dr Benlarbey a toujours œuvré pour sa patrie, l'Algérie jusqu'à un âge avancé. Il mourut le 6 Ramadhan 1358/20 octobre 1939, et fut enterré au cimetière d'El Kettar.

Lors de sa soutenance de thèse, le professeur Béclard, doyen de la faculté de médecine de Paris, président du jury, lui avait lancé cette boutade: "nous vous rendons aujourd'hui ce que nous avons emprunté à vos aïeux ". (1)

Grâce à la perspicacité de Slimane, nous avons remonté le temps et exploré le monde de la médecine du siècle dernier. Tout en regardant vers l'avenir, le voyage dans l'Histoire doit continuer, afin de nous ressourcer et d'être légitimement fiers de nos aïeux.

Dr Smail Boulbina

(1) - "Histoire générale de l'Algérie " Par Abderrhmane Ben Mohamed Djilali.

(2) Thèse du Dr Mohamed Benlarbey.