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« La porte a cédé. J’entendais mes parents gémir et je ne les voyais pas »

La porte vola en éclats. Il reçut un coup terrible sur la tête. Il voulut allumer la lumière. Pas d’électricité. Il palpait son crâne meurtri quand sa main fut broyée par un nouveau coup. - Bandit ! hurla-t-il, persuadé qu’il était victime d’une agression. Cette agression dont étaient victimes en même temps que lui des milliers d’innocents, c’était le tremblement de terre.

Dans les ruines d’Orléansville, de Pontéba et du douar de Beni-Rached, j’ai interrogé ceux qui ont vécu la catastrophe. Aucun d’eux, dans l’instant, n’a pensé à un tremblement de terre. Tous ont cru qu’ils étaient attaqués, qu’un camion venait de se jeter contre leur maison ou qu’un avion s’était abattu sur le toit. Le tremblement de terre, c’était le crime monstrueux, impensable. - J’ai cru que je rêvais, m’a dit Gabrielle Legout.

Elle a quatorze ans. C’est la fille du garde-champêtre. Par son courage, son sang-froid, elle a sauvé ses parents et deux de ses frères et sœurs. Cette petite fille modeste, qui ose à peine parler, est peut-être l’héroïne de la catastrophe.

- Quant je me suis réveillée en sursaut, j’ai vu le ciel, plein d’étoiles. Il n’y avait plus de plafond. Le toit avait été emporté. J’ai crié : « Mais qu’est-ce qu’il y a ? » J’ai voulu ouvrir la porte. Dans la chambre, à côté, mon père et ma mère gémissaient. La porte a cédé. C’était horrible. Je les entendais. Je ne les voyais pas. Leurs plaintes sortaient d’un tas de gravats qui montait presque jusqu’au plafond. « Les petits ! Sauve les petits ! » criait maman. J’enfonçai mes bras jusqu’aux épaules dans la terre, des pierres. Un clou me déchira la main. Je suffoquais. Papa m’appelait. Je ne savais pas où il était. J’ai senti ses cheveux. Il m’a dit d’essayer d’enlever un bloc de pierre qui lui écrasait la poitrine. J’ai eu beau me tendre de toutes mes forces, je ne pouvais pas. Tout basculait. Je tombai, « Les petits ! Sauve les petits ! » répétait maman.

« Les petits ! Dans mon affolement, je les avais oubliés. Ils étaient quatre dans la chambre voisine. Et on ne voyait rien. Je me suis mise à creuser avec mes mains dans les gravats. J’ai fini par faire un trou. « Maman chérie, vite ! Je vais mourir ! » a crié Marie-Laure.

« Ma mère gémissait : « Gabrielle, sauve-la ! Sauve-la ! » J’avais beau faire, je ne pouvais pas. Il faisait nuit. Des pierres s’écroulaient su moi, la poussière m’étouffait. J’ai réussi à sauver Mireille et Fatima, les deux tous petits. Mais Marie-Laure et René… »

La petite retient mal ses larmes. Marie-Laure qui avait sept ans, et René qui avait neuf ans et demi, étaient morts quand son père et sa mère, qu’elle avait réussi à dégager, purent les retirer des décombres, plusieurs heures plus tard, avec l’aide d’un voisin.

Ce combat dans les ténèbres, qui parut, durer une éternité, tous les habitants d’Orléansville et des douars de la vallée du Cheliff l’on vécu.

Surpris en plein sommeil, ne comprenant rien à ce qui leur arrivait, tous s’étaient échappés comme des fous de l’enchevêtrement de poutres, de briques et de ferrailles tordues qui les écrasaient. A moitié nus, meurtris, le visage déchiré, les mains en sang, noirs de poussière, ils sautaient par les fenêtres de leurs maisons écroulées précipitaient vers la campagne.

Puis brusquement, ils s’arrêtaient et heurtaient au flot contraire des fuyards, revenaient vers les ruines de leur maison en appelant les enfants, la mère ou l’aïeule perdus dans la catastrophe.

Un nuage de poussière épais comme un brouillard couvrait la ville et stagnait dans les rues. La nuit, éblouie de lune, était devenue à ce point opaque que les gens se jetaient les uns contre les autres comme les Londoniens pendant le blits (mot illisible).

L’hôtel Baudoin était comble. A 11 heures du soir, le procureur de la République qui habitait le palace, avait téléphoné d’Alger qu’il ne rentrerait que le lendemain. Il fut sauvé, ainsi que l’automobiliste qui à 1 heure, conduisit sa voiture au garage pour faire réparer une soupape. Quand il revint à 1 h 12, l’hôtel Boudoin se fendait en deux et tout le centre de la bâtisse s’effondrait.

Un Arabe qui dormait en face, sur une pelouse du jardin public, fut tué par des pierres. Le patron de l’hôtel, sa femme, sa fille de neuf ans avaient disparu engloutis dans les décombres, ainsi que leurs trente clients. Seul deux cinéastes logés au troisième étage et un représentant de commerce réussirent à s’évader de leurs chambres éventrées en descendant à l’aide de draps attachés au balcons.

Toute la ville n’était que ruines. Du building neuf étages il ne subsistait qu’un gigantesque chantier de démolitions. Les trente-cinq ouvriers qui couchaient dans les étages gisaient sous les milliers de tonnes de pierres et de ferrailles amoncelées. Aucun d’eux ne devait être sauvé.

La secousse avait duré douze secondes, …pendant des heures la ville et les faubourgs demeurèrent plongés dans une nuit de brouillard. Le nuage de poussière, loin de se dissiper, s’épa….. sissait au fur et à mesure que s’organisaient les travaux de secours et de déblaiement.

Le désastre, d’heure en heure, se découvrait dans toute son horreur. Il n’était pas un quartier, une rue, une maison qui eût été épargné. Le clocher et le porche de l’église s’étaient abattus, découvrant jusqu’au chœur les admirables céramiques du IVe siècle, orgueil de la ville. La mosquée, le minaret, la mairie, la préfecture, le collège, lézardés en tous sens menaçaient ruine.

Des torches électriques surgirent. Et l’on vit es képis blancs. C’était la Légion qui attaquait. La caserne, près de la mosquée, s’était écoulée. Deux légionnaires avaient été tués, dix autres blessés. Mais les blessés, le visage et les mains en sang, avaient rejoint leurs camarades.

Les faisceaux des lampes qui fouillaient le nuage de poussière, découvraient des scènes atroces ; un crâne broyé au milieu d’une flaque de sang, une main vivante émergeant d’un tas de pierres haut de 4 mètres et se tordant comme pour un appel, un corps de femme décapité, un pied de petit enfant qui bougeait.

Les femmes - européennes et indigènes- hurlaient, se déchiraient le visage avec les ongles en appelant sans fin le mari, la mère ou l’enfant qui gisaient là, enterrés vivants, et qu’il fallait « sauver ».

Un gros homme, le torse nu, le visage et les bras noirs de poussière, dirigeait les secours, fonçant en même temps que la Légion au plus dangereux de la mêlée. C’était M. Biscambiglia, l’ancien instituteur de l’école des garçons, le maire de la ville. Ce colosse qui remuait des pierres de taille, s’arrêtait par instant pour essuyer d’un revers de bras son visage ruisselant de pleurs.

- Nous les sauverons ! Nous les sauverons ! répétait-il à ceux qui pleuraient un parent disparu. - Tout sauver, même les ruines, même les morts, voilà ce qu’il voulait ! m’a dit un légionnaire fou d’orgueil parce que ce héros était un Nord-Africain, comme lui.

Des héros - hommes, femmes, enfants - il y en eut beaucoup cette nuit là, à Orléansville. Européens, indigènes, ces mots n’avaient plus de sens. Une femme qui avait perdu ses deux enfants oubliait son propre malheur pour se porter au secours d’autres victimes.

L’hôpital - à peine achevé et doté du matériel le plus moderne - était détruit. Les chirurgiens et les médecins opéraient sur des tables dans la cour, à la lueur des torches et des projecteurs.

Des ombres passaient silencieuses. C’étaient des Arabes qui emmenaient l’un des leurs. Le culte musulman exige que le défunt soit enterré immédiatement après le décès. Tant d’hommes et de femmes ont été inhumés ainsi à Orléansville et dans tous les villages de la vallée - jusqu’à ce douar tragique de Beni-Rached dont les quatre cents habitants furent écrasés dans leurs gourbis - qu’on ne connaîtra sans doute jamais le nombre exact des victimes.

Quand M. Saiah Menouar, le député d’Alger, descendit d’avion vendredi, il apprit que seize membres de sa famille - dont deux de ses sœurs, trois tantes, une nièce et ses quatre enfants - avaient été tués. Toute sa famille habitait Beni-Rached.

L’épicentre du séisme, au dire des experts, était là. Ce qui se passa dans ce douar du être terrifiant. Aucun témoin n’a pu en faire le récit. Il n’y eut pas de survivants. Mais les témoignages abondent : ceux des gourbis rasés, de la route crevassée de lézardes, de la montagne éventrée, du torrent qui a jailli, comme un puits artésien, d’un creux de rocher.

M. Saiah Menouar est retourné à Beni-Rached. Il a vu tout cela, le tas de pierres qui fut la maison des siens, et tous ces gourbis, nivelés au ras du talus comme des tombes où vivaient ceux qu’il aimait. Il n’a pas eu une larme. Mais son visage ravagé, gris de souffrance, où brûlait le regard, était d’une fixité qui faisait peur.

Ce calme, ce silence presque terrifiants qui tombèrent des le lendemain, il fallait avoir vécu sans doute le cauchemar de la veille pour sentir ce qu’il représentait de force d’âme. « Quand les fous se sont enfuis en hurlant de l’asile - au moment où l’on opérait aux torches dans la cour de l’hôpital - j’ai cru que nous allions devenir fous nous-mêmes », m’a dit le sergent-chef Martinez, de la Légion.

Depuis, les scènes de cauchemar se succédèrent comme les séquences d’un film d’épouvante. Vendredi, tandis que Mgr Duval donnait l’absoute devant dix-huit cercueils alignés face à la salle de gymnastique transformée en chapelle ardente, des légionnaires et des pompiers d’Alger enjambaient les cercueils pour déposer à la morgue trois nouveaux corps qu’ils venaient de dégager des décombres de l’hôtel Baudoin.

L’horreur, c’est ce défilé sans fin d’hommes et de femmes piétinant dans le hall macabre où les morts, recroquevillés sous des couvertures militaires, ont l’air de clochards couchés dans un asile de nuit. Ces corps aux mâchoires broyées, au yeux pleins de terre, au crâne scalpé, il faut l’amour d’une femme, d’une mère ou d’une fille pour reconnaître et se pencher sur eux sans horreur.

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