A-Soulèvement vu par un algérien

L'affaire Marguerite et les tribunaux répressifs sous la lIIème République

Par BOUALEM NEDJADI

« Les Tortionnaires 1830-1962 » Editions ANEP Alger 2001 PP. 59/61 et 97/98.

Cette sombre affaire s'est passée sous le gouvernorat de M. Paul Révoil du 18 juin 1901 au 13 Avril 1903. (Démission imposée [en réalité cette affaire éclata sous Jonnard qui était en poste au mois d’avril 1901). Cette affaire dévoila un penchant quelque peu favorable aux quelques français libéraux. Il serait très utile, pour l'histoire, de rappeler leurs positions louables vis-à-vis de la communauté algérienne. En effet, à la suite de cette affaire, il faut noter la déclaration à cette époque du Sénateur républicain Pauliat qui croyait, lui, qu'il y avait déjà "exaspération profonde d'un peuple réduit à la misère" et rejoignait les propos de P. de Cassagnac: " La France ne s'est point montrée une mère mais une marâtre pour l'Algérie indigène".

Le début du soulèvement: l'idée était née lors d'une fête religieuse de Sidi Bouzar le 22 avril. Le 24, lors d'une deuxième réunion au marabout de Sidi Mohamed Ben Yahia, la décision fut prise; le dirigeant de cette insurrection fut, d'après certains écrits, Yakoub et son lieutenant Hadj Ben Aïcha, ils devaient tous deux mourir au bagne en 1905 (décès très étrange des deux dirigeants, ainsi que 17 autres détenus), la chambre d'accusation de la cour d'Alger avait décidé les renvois des 125 inculpés devant la cour d'assises; la cour de cassation, dessaisissant la cour d'Alger, renvoya l'affaire devant la cour d'assises de l'Héraut (France), à la grande indignation des colons. Le procès commença le 11 décembre 1902 et se termina le 8 février 1903 ; l'avocat commis d'office, Me Ladmiral, plaida avec chaleur et émotion (01). Sur les 134 inculpés 17 étaient morts en prison. Parmi les inculpés, il y avait 80 malades dont 15 vieillards de 65 à 70 ans et un aveugle. Au cours de leur procès, le procureur interdit tout contact avec les accusés et des procès-verbaux furent dressés contre les femmes qui leur apportèrent à manger. Les acquittés furent bannis de leur village, cependant, même ceux ayant obtenu un non-lieu avaient été frappés administrativement et le séquestre avait été préventivement apposé sur les biens de tous les inculpés par un arrêté du gouverneur général, leurs biens furent rapidement vendus au profit du trésor. Lors de sa détention, Yakoub dut subir des expériences d'hypnotisme par des médecins (02). La cause de ce soulèvement est à ne plus en douter: les brimades, les abus (03), les vexations quotidiennes, les humiliations journalières, mais surtout les spoliations et les licitations abusives qui avaient été provoquées (04).

Les colons, très vite, en profitèrent pour demander l'application de la responsabilité collective sur les tribus et le droit pour les maires d'appliquer les pouvoirs disciplinaires.

Le voeu des colons ne tarda pas à se réaliser, le 26 mars 1902 était signé le décret instituant des tribunaux spéciaux pour les "Indigènes", presque sans droit d'appel ainsi que des tribunaux répressifs. En outre, le 29 mai 1902 était signé le décret donnant aux administrateurs compétence en matière de simple police dans les communes mixtes. Le Sénat mettant fin à une obstruction qui durait depuis 5 ans acceptait la loi instaurant des cours criminelles valables pour les seuls indigènes.

La séparation de l'église et de l'Etat fut acquise grâce à une loi de décembre 1905, proposée par Aristide Briand ; mais ne concernera pas les mosquées et encore moins les Cadis; rien ne changera pour le culte des musulmans. Bien au contraire, le Cadi, se verra restreindre ses prérogatives au profit des notaires à la solde des colons, pour continuer la spoliation effrénée des terres appartenant encore aux paysans algériens.

NOTES :

(01) Me Ladmiral, avocat Guadeloupéen, décrivit la très grande misère des inculpés et "la cruauté de la loi des vainqueurs". Il se servit de cette tribune pour apprendre à l'opinion française ce qu'étaient le régime de l'indigénat et les pratiques d'internement administratif. Me Ladmiral, un homme très apprécié par les Algériens. Quant à Clemenceau, dans un article dans le journal La Dépêche de Toulouse, il citait le séquestre préventif des biens des accusés et il prit une position politique: " Je demande que notre colonisation se fonde sur le respect du droit humain. Aux popu1ations à qui nous enlevons leur indépendance, nous devons la compensation d'un régime de justice, de douceur, de haute humanité".

(02) Le ministre de la justice ordonna aussitôt de faire cesser immédiatement "ce viol de la personnalité humaine" in Le Matin (du 14 février 1902).

(03) Les procès-verbaux forestiers étaient très nombreux dans le douar Adélia: 132 en 1899, 219 en 1900, sur les 15.000 ha du douar, 4912 ha de terres domaniales relevaient du régime forestier.

(04) Un monsieur Jenoudet avait réussi à lui seul à se procurer plus de 1.000 hectares de bonne, terres qui lui revenaient de 22 à 27 F l'hectare. Les insurgés avaient été durement frappés par la colonisation, en application du Sénatus-consulte, 1463 ha leur avaient été enlevés, en 1868, au moment où le douar fut délimité, il restait encore aux 2194 habitants, 9.323 ha de terre melk. Des expropriations successives en 1877, 1881, leur enlevèrent 1.799 ha puis intervinrent les licitations. Ces cessions aux européens les privèrent encore de 3.329 ha, il ne restait plus que 4.066 ha pour 3.206 habitants.