De voile en voile. Déjà la personnalité et l’univers artistique et existentiel de Ahmed Saber reste recouverts de zone d’ombres. L’une des questions, justement, consistait à savoir qui était ce mystérieux personnage qui inspira à Saber ses plus célèbres mélodies. Un certain Omar Mokrani, d’El-Asnam. Mort ou encore en vie ?
El-Asnam n’est plus la même.Omar Mokrani s'est éteint quarante jours avant le séisme de 1980, à l'âge de 84 ans (il est né le 16 novembre 1896). Un diabète l'emporta…. Il fit de cette graine d'hommes qui n'ont jamais vu un médecin. Il laissa quatre garçons et aucun ne versa dans la poésie, l'un deux fut d'ailleurs emporté par le séisme. Il laissa aussi cette maison grande et austère. Des carnets de note, des livres d'exégèse coranique. Des photos de lui où il apparaît dans sa blondeur, sa grandeur et son port de tête fier. Sa hauteur de berbère, jeté sur les plaines par de lointains ancêtres. Mais il laissa surtout l'image de quelqu'un qui traversa son temps dans le conflit perpétuel.
Omar Mokrani naquît à El-Asnam dans une famille de religieux. Son grand-père, Abdelkader Ben Omar Ben Mohamed Ben Mokrane, fut cadi, à l'époque de l'émir Abdelkader. Son père fut imam et son oncle Omar poète et probablement son père spirituel, Omar Mokrani fut également influencé par M'hamed Medjadji "Etouil " et son ami Ahmed Boutbal.
Très jeune, il entra dans le métier de pâtissier qu'il conserva jusqu'à l'indépendance. Son temps libre était consacré à la lecture du Coran, à la poésie et une vie de jouissances.
Le fait extraordinaire et inconcevable par les temps qui courent est que Mokrani concilia une extrême religiosité avec des moments hautement épicuriens. C'était en somme une plénitude toute rurale. Les rencontres paillardes, le cycle des wa'dates. Celles de Sidi M'hamed et Sidi Abed qui duraient une semaine.
Il connut et surtout fournit en textes la plupart des poètes et interprètes de melhoun : Amri, son ami intime, Mamachi, Attafi, Merdaci Metidji, Bouras, Mazouni. Après sa mort, son fils déclare avoir fourni à ce dernier quelques 800 poèmes laissés par son père. Mokrani connut également Khaldi, Hamada et surtout Madani dont il était admiratif. Il le surnommait "cheikh echiokh ".
Mais il eut en sainte horreur les poètes qui s'impliquèrent avec le pouvoir, il évitait lui même toutes les rencontres officielles et les mondanités, on évitait d'ailleurs de l'inviter.
Sa poésie avait cette particularité d'être à la fois limpide, pleine de souille et acerbe, tranchante et agressive. Point d'allusion, rien que le mot assassin. Durant la colonisation, il n'épargna ni les caïds de la région, ni les harkis, ni même le roi du Maroc, lors de la guerre des frontières.
Imprégné d'une culture politique faite d'imaginaire, d'intuitions et de principes moraux, il eut une idole: Ben Bella qui incarnait pour lui le mythe du révolutionnaire et de l'homme du peuple.
Il vécut ensuite le coup d'Etat du 19 Juin comme un traumatisme et prit en haine Boumediene qu'il décrit comme suit, dans un vers: " il commet l'arbitraire et trompe les âmes impunément". Son franc-parler exacerbé lui valut d'être visité par un gradé et sa maison fut perquisitionnée.
Mais sa grande fracture fut produite par les bouleversements sociaux, après l'indépendance. Son fondamentalisme religieux, acquis de naissance; lui fit rejeter le changement des mœurs, l'occidentalisation des rapports sociaux, bref les bouffées de modernisme qui imprégnèrent les traditions. Il railla dans des termes impitoyables, les incursions de la femme hors de l'autorité patriarcale, il dépeignit avec force mépris les femmes s'habillant à l'européenne, fréquentant les lieux de luxure, les maris vaincus, les pères complices, etc. Mais comme ces changements intervenaient au sein de la couche naissante des bureaucrates, les parvenus, sa révolte était aussi sociale. A ce propos, il y a le célèbre texte " El Ouaktia " admirablement chanté par Ahmed Saber. En un mot, il vécut et traduisit la chose comme un chaos social. De ce point de vue, la poésie de Mokrani peut être considérée comme un prisme révélateur des profondeurs de notre société contemporaine.
Sa rencontre la plus déterminante fut assurément celle d'Ahmed Saber. C'est un certain Mayouf " Lahmar " qui les mit en contact. Et c'est Saber qui le popularisa en interprétant ses textes. Etonnante jonction entre la poésie asnamie de Mokrani et les mélodies oranaises de Saber. En réalité, ils partageaient en commun une personnalité intraitable, un amour pour le dénuement matériel, le rejet du prestige social.
Dans Miliana, la rose du Zaccar, l'arabe se mêle au français, à l'italien, à l'espagnol. Dans cette ville cosmopolite, et bigarrée des années 1920, de citadins et de mineurs venus d'un peu partout, est racontée l'histoire d'une famille algérienne, vivant dans ta tranquillité et la simplicité, dans la dévotion et la croyance. Mais pour devenir " civilisé ", il faudra payer le prix. Et quel prix ? Celui de la dégradation de la personnalité humaine…
La trame de l'histoire est très simple en elle-même. L'intrigue anodine n'est là que pour gonfler le roman Si Miliani, honnête homme, croyant, respecté, travaille à la mine de fer de Zaccar. Pendant ce temps, sa femme encore jeune garde et entretient la maison Tout irait pour le mieux dans le meilleur du monde si ce début de conte de fées n'était perturbé par le vivant, mais énigmatique Grimecci, un Italien ami de Miliani. Cet ami entraînera le respectueux et respecté Miliani à la boisson.
Ce même ami qui lui a appris à boire, l'enverra en prison pour une nuit d'abord, cinq ans ensuite. Devant le changement subit de Miliani, Zohra sa femme essaiera de le raisonner, puis attendra et patientera enfin jusqu'à sa mort en emportant avec elle l'image de son mari d'avant. Le jour même où est enterrée sa femme, Miliani inculpé injustement de meurtre sera condamné à cinq ans de travaux forcés. Le vraie assassin n'écopera que d'une année.
Quant à l'intrigue, elle tourne entre Miliani et Zohra, noyau principal Grirnecci, sa femme Thérèse et Rosette, une jeune juive.
L'Italien abandonne sa femme pour aller vivre avec Rosette. Thérèse jalouse tuera son mari avec le fusil de Miliani.
Miliani n'aura pas le courage, à sa sortie de prison, de revenir à Miliana. Il ira au Maroc sous un autre non : " El Menssi " en souvenir de sa femme qu'il avait " oubliée ".
Mais au-delà de la simple trame de l'histoire, l'auteur a soulevé quelques problèmes encore vivaces : critique du maraboutisme, des superstitions et " des fils presque innombrables des marabouts". (Page 89),
L'exploitation de l'Algérien, par le Français, l'inégalité dans le travail entre l'Algérien et les autres, la supériorité de la langue. " Comment... Tu oses comparer la langue française à une langue de sauvages ? ".
Le rôle et l'attitude de femme algérienne décrits sans tâches, ni bavures, tout au long de ce livre, comme la gardienne de la personnalité algérienne.
Sans entrer dans le détail, à partir de dialogues ou d'anecdotes, l'auteur critique le pays occupant à travers l'attitude de ses ressortissants et son " rôle civilisateur " dont le premier précepte est de boire, le second, de faire fi de la religion. Cette civilisation entraînera Miliani dans la dégradation :
"Celui-ci ne faisait plus les cinq prières quotidiennes... on se lasse vite de bien faire, de vivre en paix…Autrefois, il s'interdisait de regarder le visage d'une femme même européenne, il devint moins sévère pou lui-même ": (Pages 23 -24).
Doucement la pente entraînera Miliani vers sa perdition et ce n'est qu'après avoir payé de la vie de sa femme et de cinq années de la sienne qu'il reprendra une autre vie.
Ce roman, écrit en français par un Algérien, est le premier du genre. Découvert par hasard aux archives de la wilaya d'Alger, le livre a été écrit vers les années 20, et édité aux " Editions associés " en 1925.
L'auteur Abdelkader Hadj Hamou, dont nous ne connaissons presque rien, est un Milianais. Albert de Pouvourville, lui aussi inconnu, dit dans une préface de deux pages, que ce livre est écrit " par un Berbère, par un homme de race africaine et brune ".
Revenons à cette préface; chef d'oeuvre de racisme et de paternalisme, où cet inconnu vante les bienfaits de la colonisation (pardon civilisation) française.
" La France est la seule des puissances coloniales qui ait acquis son domaine extérieur dans un but spirituel... Donc il faut parler d'une très belle victoire de la nation régénératrice et productrice. "
Quelques lignes plus bas, le ton paternaliste revient et nous rappelle celui de notre instituteur nous tirant l'oreille à chaque faute d'orthographe. Qu'on en juge :
"Le lecteur s'en apercevra sans peine aux ingénuités de la trame romanesque, aussi bien qu'aux naïvetés presque enfantines de telle tournure de phrase, qui relèvent de l'âge des premières dents... "
Il conclut ainsi par cette tirade combien grande et généreuse comme la France.
" Et nous n'avons voulu rien chercher de plus, nous autres, premiers et modestes, mais ardents constructeurs de l'empire colonial de notre pays "
Pour en revenir au livre, disons que loin d'être un chef-d'œuvre, il est intéressant du fait qu'il nous renseigne sur la vie quotidienne d'une ville algérienne des années 20-25, et aussi parce que c'est le premier roman écrit en français par un Algérien.
La coloration locale si bien détaillée, la vie des Algériens si bien décrite, la richesse et la variété des thèmes abordés quoique superficiellement, pourraient donner naissance, avec ce retard, à un grand film, voire donner lieu à une réédition.