Devinette à 10 dinars ! Quel est le nom du premier médecin algérien ayant soutenu une thèse devant un jury? Non, vous ne le savez pas. Alors, retournons la question : en quelle année, ou tout simplement à quelle époque, le premier «Arabe», comme on disait à l'époque coloniale, est-il sorti de la faculté de médecine, muni de son diplôme, vous l'ignorez également ? Alors, lisez l'article qui suit. Notre ami Smaïl Boulbina, médecin de son état, a tenu à le savoir et il a remonté le temps. Il nous dit qui a été le premier médecin algérien de l'époque coloniale, et nous précise certains diagnostics et traitements thérapeutiques de la fin du 19ème siècle.
Slimane a toujours été fasciné par la carrière prestigieuse de son arrière-grand-père, le Dr Mohamed Benlarbey, dont une rue de la Casbah d'Alger porte encore le nom. L'intérêt pour son illustre ancêtre amena Slimane, professeur d'anglais dans un C.E.M. de Bab El Oued, à effectuer des recherches à la Bibliothèque nationale d'Alger, puis à la Faculté de médecine de Paris qui lui envoya la photocopie de la thèse du Dr Benlarbey
Persuadé que son aïeul fut le premier médecin algérien à avoir soutenu une thèse de médecine, et désireux de faire partager sa fierté, Slimane nous rend visite, accompagné de son père Si Rachid, âgé de 73 ans.
Né au mois de Safar 1267/décembre 1850, à Cherchell, Mohamed Benlarbey est l'un des trois frères, tous érudits en langue française. Le plus âgé Mohamed I est interprète, le second, Kaddour, médecin dans les palais de Tunis, puis à Constantine
Mohamed Seghir a commencé ses études à Cherchell, puisa Alger où il est scolarisé dans les écoles primaires créées par Napoléon III, uniquement pour autochtones, puis le secondaire, la faculté de médecine d’Alger et celle de Paris où il soutint sa thèse avec mention excellente le 16 juillet 1884, à une heure, dans sa tenue traditionnelle: chéchia. amama et burnous, conversant dans un français châtié; en présence de son ami, le poète Victor Hugo, qu’il appelait familièrement cheikh Vïctor Hugo (1).
«Le traitement arabe connu sous le nom d'El Bâris est un régime végétal de 20 ou 40 jours, pendant lesquels le malade ne boit que de la tisane de salsepareille.
Les dix premiers jours, il mange matin et soir une grande quantité de pâte composée de poudre de salsepareille, de graines de cresson alénois (heurf), de cassonnade et de gingembre, le tout bouilli avec de l'eau: il y ajoute quelques raisins secs et un peu de pain sans sel. Dix jours après, il peu ajouter un peu de beurre frais sur le pain ; sept jours après, un peu de kouskous (semoule de blé) tiède ; et depuis ce moment, jusqu 'au quarantième jour, un peu de viande de mouton, mais toujours sans sel. Un amaigrissement considérable a lieu pendant ce régime»
Une autre endémie algérienne, c'est la conjonctivite granuleuse, le remda des Arabes; d'une nature essentiellement contagieuse. Les Arabes la traitent d'abord par occlusion aidée d'une compression modérée; ils font en outre des scarifications à la racine du nez, à la tête et aux pieds. Si au bout de huit jours, il n'y a pas d'amélioration, ils recourent aux topiques, tels que les pommades de miel et de, résine de tamarix, du beurre pilé avec du céleri, du basilic et du jus de citron; une pâte faite avec de la noix de gralle ; ou bien aux collyres composés d'une décoction de graines de cassia absus, ou aux lotions répétées avec du lait aigre, de l'eau de jasmin additionnée d'alun et de blanc d'œufs, ou aux cataplasmes d'oignon pilé, ou aux insufflations de sulfate de cuivre.
(1) - «Histoire générale de l'Algérie » Par Abderrhmane Ben Mohamed Djilali
(2) Thèse du Dr Mohamed Benlarbey,
C'était le sujet de thèse du Dr Mohamed Benlarbey qui commence par un hadith du prophète Mohamed ; " Demandez à Dieu le pardon et la santé, nul certainement n'a jamais rien reçu de plus précieux que la santé : elle est le bienfait que Dieu aime par-dessus tout qu'on lui demande ". (2)
Dans son introduction, il interpelle la France " ...Est-il juste de refuser à ces populations, toutes les connaissances utiles, de nier jusqu'à leur aptitude à faire acte de virilité intellectuelle en un mot de les traiter comme une race littéralement inférieure ? Il est permis d'être d'un avis contraire.
En ce qui concerne la profession de mon choix, j'ai cru devoir démontrer, par quelques exemples empruntés aux procédés medico-pharmaceutique des Arabes algériens, que si notre pratique n'a pas toujours été inspirée par un niveau scientifique suffisant, elle est cependant susceptible d'offrir encore ii encore à l'art médical français quelques ressources utiles". (2)
Dans le chapitre premier, il fait l'historique de la médecine arabe occidentale et le panégyrique des médecins célèbres du Machreq et surtout du Maghreb, dont les ouvrages furent traduits en français et pour ne citer que les plus récents, ceux d'Abderrazak el jazairi (18ème siècle) ; "Révélations des énigmes et expositions des drogues et des plantes" qui est un traité de matière médicale et un livre sur "l'hygiène des fonctions génitales",
Le chapitre deux est consacré à "la médecine arabe actuelle ", où il décrit "les affections et les pratiques médicales et climatériques" ; "la gale bédouine (habb lareug), traités par les bains de vapeur, par les frictions de jus de grenade ou de henné ou de juc de tomate; le bouton de Biskra, dermatose combattue par l'écume de savon vert appliquée comme topique et par la fréquentation des eaux thermales ; le dragonneau, que les Arabes appellent "areug-el-medine" c'est-à-dire la veine de médine, cette filaria médimensis qui attaque principalement les jambes; l'éléphantiasis ou "dâ-el-fil" (2).
En chirurgie, le toubib algérien est essentiellement conservateur "les Arabes répugnent aux grandes opérations sanglantes; ils préfèrent une mort certaine et prochaine à quelques années d'existence achetées au prix de la mutilation du corps" (2) Le Dr Benlarbey tàit une description détaillée de la cautérisation, des scarifications, de la circoncision et du traitement des fractures à l'aide d'une Djebira (plâtre) faite de blanc d'œufs battus dans du henné et d'attelles de bois de palme ou de roseau.
Dans le chapitre consacré à l'hygiène, il donne sept recettes de composition du Koheul, neuf recettes du henné, décrit les bienfaits du hammam et détend la pratique de la variolisation (technique de vaccination contre la variole) qui existait depuis la plus haute antiquité dans le Maghreb. IlI s'élève fermement contre les affirmations selon lesquelles les Algériens "présenteraient de nombreuses manifestations de syphilis. La fréquence de la syphilis, les statistiques de tous les pays les plus civilisés, leurs cliniques spéciales, leurs musées d'anotomie pathologique, révèlent suffisamment que la maladie contagieuse, qui tout à tour mérite les noms de "mal français, napolitain, espagnol, allemand, polonais, turc, etc. etc. " n'est pas précisément le privilège des indigènes du nord de l'Afrique". (2).
Abordant la médecine par les plantes, il constate: "ces remèdes sont encore dignes de l'attention des praticiens, parce que l'Algérie même les produit et que leur exploitation intéresse autant l'industrie locale que le traitement des maladies africaines" (2).
Cette constation est toujours d'actualité, la production des plantes médicinales est encouragée depuis quelques années pour satisfaire les besoins locaux et, pourquoi pas, exporter. Le problème est tellement pris au sérieux que la Chambre nationale de commerce a programmé un séminaire sur les plantes médicinales d'Algérie au cours de ce mois de septembre.
Et le Dr Benlarbey de citer quelques plantes et leurs indications: le caroube (kharoub), le grenadier (roumane), le jujube (annab), le thapsia garganica (bou nafaâ), le figuier de barbarie (kermous n'sara) et le palmier dattier qui, à lui seul, totalise douze recettes de traitements allant de la piqûre de guêpe au syndrome hémorragique, en passant par la diarrhée et le traitement de l'impuissance.
La thèse se termine par un chapitre de médecine légale, consacré à ta durée physiologique de la grossesse et au problème du "Ragued" (l'enfant endormi..) : "une des questions qui ont le plus souvent donné lieu à des controverses en médecine légale, au point de vue des doctrines de la jurisprudence musulmane, c'est la gestation prolongée pendant plusieurs années. La femme, dont le mari est absent, ne peut se marier, dans certaines régions du littoral, avant le délai de quatre années révolues depuis le départ du mari. Ce délai est de sept ans chez quelques tribus et même de dix ans chez les Ait lraten et les Igaouaouen. On comprend maintenant toute la gravité que comporte la question des gestations très prolongées. Ce sujet, auquel se rattachent tant de problèmes médico-judiciaires relatifs à l'honneur des familles, à la paternité, à la légitimité de la naissance, à des droits d'héritage, etc., a, de tout temps, exercé la sagacité des légistes et des accoucheurs" (2).
Le Dr Bènlarbey rapporte que " de cadi d'Alger reconnaissant pour père d'un enfant, un indigène qui avait déjà répudié la mère depuis plus de deux ans, la cour d'appel de cette ville infirma ce jugement, car le code civil fixe au trois centième jour' l'extrême limite des grossesses tardives ". (2)
La croyance populaire du "ragued" arrange bien des situations délicates. Défiant le temps et la science, on la retrouve encore de nos jours partout dans le pays, particulièrement dans l'esprit de nos mères et grands-mères...
En 1888, le Dr Benlarbey " lutta avec acharnement pour faire échec au plan du Gouvernement général d'Algérie, qui visait à détruire les mosquées de Djamâa El Kébir et Djamâa Djedid, pour construire à leur place des hôtels. Lorsqu'en 1891, l'Etat français a tenté de remplacer les mahkamate par des tribunaux présidés par des non musulmans, notre docteur s'est trouvé à l'avant-garde d'une révolte des Algériens, à tel point que le parlement français a dégagé une commission d'enquête 'Présidée par Jules Ferry".(1)
Durant sa vie, le Dr Benlarbey a toujours œuvré pour sa patrie, l'Algérie jusqu'à un âge avancé. Il mourut le 6 Ramadhan 1358/20 octobre 1939, et fut enterré au cimetière d'El Kettar.
Lors de sa soutenance de thèse, le professeur Béclard, doyen de la faculté de médecine de Paris, président du jury, lui avait lancé cette boutade: "nous vous rendons aujourd'hui ce que nous avons emprunté à vos aïeux ". (1)
Grâce à la perspicacité de Slimane, nous avons remonté le temps et exploré le monde de la médecine du siècle dernier. Tout en regardant vers l'avenir, le voyage dans l'Histoire doit continuer, afin de nous ressourcer et d'être légitimement fiers de nos aïeux.
(1) - "Histoire générale de l'Algérie " Par Abderrhmane Ben Mohamed Djilali.
(2) Thèse du Dr Mohamed Benlarbey.
La trépanation du crâne (Tekeb Er Ras) est encore en honneur dans les montagnes de l'Aurès (province de Constantine), où on la pratique le plus ordinairement pour des douleurs intolérables intra-crâniennes, dans les cas de fractures simples ou compliquées de la boite encéphalique.
Le chirurgien rase d'abord la région, puis à l'aide du même couteau, bien affilé, incisé un quadrilatère de téguments, une fois ceux-ci soulevés avec la pointe de l'instrument, il promène, en appuyant légèrement le long des côtés du quadrilatère, une serpette armée de quatre dents très écartées, puis, quand l'opération est très avancée, une autre serpette à dents plus fines et plus nombreuses.
Quand les quatre côtés sont ainsi perforés en ligne droite, on soulève la tablette osseuse avec une lame de fer ou une pointe recourbée. On recouvre la brèche, osseuse avec un morceau de burnous enduit de goudron et on le maintient en place à l'aide d'une plaque métallique, criblée de tous inégaux, afin de livrer passage à la suppuration, au sang ; dans les trous les plus extérieurs de cette plaque, on passe des fils pour lier l'appareil autour du crâne, Le pansement sus-indiqué est fait chaque jour jusqu'à ce que la plaie se trouve comblée par un bourgeonnement.