Les insurgés impliqués dans l’affaire dite de « Margueritte » avaient été durement frappés par la colonisation, en application du Sénatus-consulte d’avril 1863. Dés 1868, et application de ce texte de la honte, 1463 ha leur avaient été enlevés. Au moment de la délimitation effectuée sur le douar d’Adélia, il ne restait encore que 9.323 ha de terre melk aux 2194 habitants. Des expropriations successives effectuées en 1877 et 1881, leur enlevèrent une superficie évaluée à 1.799 ha de terres fertiles. Puis vint le temps des licitations (cessions aux colons européens pas moins de 3.329 ha). Avant le déclenchement de l’insurrection du 26 avril 1901, il ne restait plus que 4.066 ha en tout et pour tout, pour les 3.206 habitants. Monsieur Jenoudet, un monstre, disposait à lui seul plus1000 hectares de bonnes terres qui lui revenaient généralement de 22 à 27 f l’hectare (lorsque le principal accusé dans l’affaire, Yacoub ibn El Hadj prié par le président de la cour d’assises de Montpellier le 22 janvier 1903 (quarante-troisième journée du procès –audience de l’après-midi), de faire une déclaration aux jurés, il disait vrai lorsqu’il déclara en subsistance : « Maintenant, laissez-moi vous dire que nous avons été dépouillés de nos terres: les unes prises par M. Jenoudet, les autres par différents colons et que nous avons été obligés de travailler pour vivre. Quand un de nos mulets s'égarait sur la propriété d'un colon, nous étions obligés de verser 15 à 20 francs pour rentrer en possession de la bête; quand notre troupeau pacageait dans les broussailles, on n’hésitait pas à nous faire des procès-verbaux (Les procès-verbaux forestiers étaient très nombreux dans le douar Adélia: 132 en 1899, 219 en 1900, sur les 15.000 ha du douar, 4912 ha de terres domaniales relevaient du régime forestier). Nos terres, autrefois, nous permettaient de vivre ; aujourd'hui, nous sommes obligés de vivre avec un
franc ou un franc cinquante de salaire. Que peut faire un homme avec un pareil salaire, quand il a une nombreuse famille à nourrir, à vêtir, à subvenir à tous les autres besoins ? Quand nous avons besoin d'argent, la caisse de prévoyance ne prêtait pas à de simples journaliers
comme nous; il fallait être aisé pour emprunter. Alors nous étions obligés de nous adresser à M. Subreville, qui nous vendait le sac de grains 25 à 30 francs »..
Cette sombre affaire s'est passée sous le gouvernorat de M. Paul Révoil du 18 juin 1901 au 13 Avril 1903. (Démission imposée [en réalité cette affaire éclata sous Jonnard qui était en poste au mois d’avril 1901). Cette affaire dévoila un penchant quelque peu favorable aux quelques français libéraux. Il serait très utile, pour l'histoire, de rappeler leurs positions louables vis-à-vis de la communauté algérienne. En effet, à la suite de cette affaire, il faut noter la déclaration à cette époque du Sénateur républicain Pauliat qui croyait, lui, qu'il y avait déjà "exaspération profonde d'un peuple réduit à la misère" et rejoignait les propos de P. de Cassagnac: " La France ne s'est point montrée une mère mais une marâtre pour l'Algérie indigène".
Le début du soulèvement: l'idée était née lors d'une fête religieuse de Sidi Bouzar le 22 avril. Le 24, lors d'une deuxième réunion au marabout de Sidi Mohamed Ben Yahia, la décision fut prise; le dirigeant de cette insurrection fut, d'après certains écrits, Yakoub et son lieutenant Hadj Ben Aïcha, ils devaient tous deux mourir au bagne en 1905 (décès très étrange des deux dirigeants, ainsi que 17 autres détenus), la chambre d'accusation de la cour d'Alger avait décidé les renvois des 125 inculpés devant la cour d'assises; la cour de cassation, dessaisissant la cour d'Alger, renvoya l'affaire devant la cour d'assises de l'Héraut (France), à la grande indignation des colons. Le procès commença le 11 décembre 1902 et se termina le 8 février 1903 ; l'avocat commis d'office, Me Ladmiral, plaida avec chaleur et émotion (01). Sur les 134 inculpés 17 étaient morts en prison. Parmi les inculpés, il y avait 80 malades dont 15 vieillards de 65 à 70 ans et un aveugle. Au cours de leur procès, le procureur interdit tout contact avec les accusés et des procès-verbaux furent dressés contre les femmes qui leur apportèrent à manger. Les acquittés furent bannis de leur village, cependant, même ceux ayant obtenu un non-lieu avaient été frappés administrativement et le séquestre avait été préventivement apposé sur les biens de tous les inculpés par un arrêté du gouverneur général, leurs biens furent rapidement vendus au profit du trésor. Lors de sa détention, Yakoub dut subir des expériences d'hypnotisme par des médecins (02). La cause de ce soulèvement est à ne plus en douter: les brimades, les abus (03), les vexations quotidiennes, les humiliations journalières, mais surtout les spoliations et les licitations abusives qui avaient été provoquées (04).
Les colons, très vite, en profitèrent pour demander l'application de la responsabilité collective sur les tribus et le droit pour les maires d'appliquer les pouvoirs disciplinaires.
Le voeu des colons ne tarda pas à se réaliser, le 26 mars 1902 était signé le décret instituant des tribunaux spéciaux pour les "Indigènes", presque sans droit d'appel ainsi que des tribunaux répressifs. En outre, le 29 mai 1902 était signé le décret donnant aux administrateurs compétence en matière de simple police dans les communes mixtes. Le Sénat mettant fin à une obstruction qui durait depuis 5 ans acceptait la loi instaurant des cours criminelles valables pour les seuls indigènes.
La séparation de l'église et de l'Etat fut acquise grâce à une loi de décembre 1905, proposée par Aristide Briand ; mais ne concernera pas les mosquées et encore moins les Cadis; rien ne changera pour le culte des musulmans. Bien au contraire, le Cadi, se verra restreindre ses prérogatives au profit des notaires à la solde des colons, pour continuer la spoliation effrénée des terres appartenant encore aux paysans algériens. Les causes majeures d’une révolte.
Chronologie des faits
1903
08 février : Verdict de l’affaire de Margueritte : 21 condamnation et 81 acquittement.
09 août : Arrêté du gouverneur général de l’Algérie (Mr. Jonnart), relatif à l’exonération des 52 indigènes du séquestre imposés dans l’affaire de Margueritte, après avoir été acquitté par la cour d’assise de Montpellier.
A-Soulèvement vu par un algérien
L'affaire Marguerite et les tribunaux répressifs sous la lIIème République
Par BOUALEM NEDJADI
« Les Tortionnaires 1830-1962 » Editions ANEP Alger 2001 PP. 59/61 et 97/98.
(01) Me Ladmiral, avocat Guadeloupéen, décrivit la très grande misère des inculpés et "la cruauté de la loi des vainqueurs". Il se servit de cette tribune pour apprendre à l'opinion française ce qu'étaient le régime de l'indigénat et les pratiques d'internement administratif. Me Ladmiral, un homme très apprécié par les Algériens. Quant à Clemenceau, dans un article dans le journal La Dépêche de Toulouse, il citait le séquestre préventif des biens des accusés et il prit une position politique: " Je demande que notre colonisation se fonde sur le respect du droit humain. Aux popu1ations à qui nous enlevons leur indépendance, nous devons la compensation d'un régime de justice, de douceur, de haute humanité".
(02) Le ministre de la justice ordonna aussitôt de faire cesser immédiatement "ce viol de la personnalité humaine" in Le Matin (du 14 février 1902).
(03) Les procès-verbaux forestiers étaient très nombreux dans le douar Adélia: 132 en 1899, 219 en 1900, sur les 15.000 ha du douar, 4912 ha de terres domaniales relevaient du régime forestier.
(04) Un monsieur Jenoudet avait réussi à lui seul à se procurer plus de 1.000 hectares de bonne, terres qui lui revenaient de 22 à 27 F l'hectare. Les insurgés avaient été durement frappés par la colonisation, en application du Sénatus-consulte, 1463 ha leur avaient été enlevés, en 1868, au moment où le douar fut délimité, il restait encore aux 2194 habitants, 9.323 ha de terre melk. Des expropriations successives en 1877, 1881, leur enlevèrent 1.799 ha puis intervinrent les licitations. Ces cessions aux européens les privèrent encore de 3.329 ha, il ne restait plus que 4.066 ha pour 3.206 habitants.
Après la grande révolte de 1871, la paix semblait avoir repris ses droits, même si ici ou là, une agitation larvée se manifestait par des crimes et des agressions sans plan d'ensemble toutefois.
Parmi ces incidents, le plus grave fut celui de Margueritte (1) le 26 avril 1901.
Ce jour là, les indigènes des environs de Miliana, conduits par un exalté, Yacoub Mohamed Ben el Hadj Ahmed, qui parlait d'aller rejoindre l'agitateur Bou-Amama (2) se soulèvent, pillent les fermes, s'emparent du village de Margueritte contraignent les habitants à se soumettre à l'Islam, font quelques victimes et poursuivent leur marche vers Miliana.
Le Lieutenant de Gendarmerie Dupuch et ses gendarmes de Miliana, puis une compagnie de tirailleurs accourent au devant d'eux, et, après un combat très vif, réussissent à stopper cette révolte locale. Cette affaire avait dû particulièrement frapper les esprits puisqu'elle donna lieu à l'impression de plusieurs cartes postales.
On peut également constater que la justice de cette époque n'était pas plus diligente que celle d'aujourd'hui, si l'on se base sur la note manuscrite de la carte représentant le Marabout Yacoub.
Les événements ont eu lieu en avril 1901 et le 15 avril 1903 (le procès prit fin le 08 février 1903, ndl), il semble que la sentence n'ait pas été encore prononcée.
NOTES :(01) - Village de 500 européens en 1932. à 732 mètres d`altitude dans le massif du Zaccar et situé à quelques kilomètres de Miliana qui se trouve à 720 mètres d'altitude.
(02) - Bou-Amama ou Bou-Amena. Fanatiquc agitateur qui prêchait la guerre sainte en 1881 en vue de chasser les Français d'Algérie en provoquant une insurrection générale dans le Tell et qui se limitera en fait à la région des Hauts Plateaux.